: Reportage "Avec lui, on a le droit d'être des vrais mecs" : Donald Trump fait mouche chez les jeunes électeurs obsédés par la virilité
Gros biceps, grosse moustache blonde et grosses lunettes de soleil sur le nez, le catcheur Hulk Hogan déchire son T-shirt sur la scène du Madison Square Garden, à New York. "Allez, c'est ça qu'on veut !", crie Dylan, 23 ans, qui a roulé de longues heures pour venir assister au meeting de Donald Trump, dimanche 27 octobre. "Je savais qu'il y aurait des stars, mais pas une légende comme Hogan !", s'extasie-t-il, entre deux séries de "USA ! USA !", un slogan de stades que les fans du candidat républicain scandent désormais à tue-tête.
"Ce spectacle de dingue, ça me donne envie de voter deux fois pour lui !", crie Harif, 20 ans, venu du New Jersey voisin. L'étudiant, qui veut "faire fortune dans la finance", n'aurait raté l'événement "pour rien au monde", même s'il dit déjà connaître "par cœur" le programme de Trump. "Je le vois partout, à la télé, sur Instagram... Je sais pour qui il se bat", assure le jeune homme, venu avec deux amis, qui ne manque pas une occasion de huer les "ennemis" de son candidat, à commencer par "les faux journalistes".
Pour les jeunes électeurs rencontrés ce soir-là, l'ancien président républicain représente "l'Amérique qui n'a plus peur". Hors de question d'imaginer un instant voter pour la démocrate Kamala Harris, "trop féministe" et même "dangereuse pour la société", accuse Harif. Sur son torse, imprimé blanc sur noir, figure le slogan "Oui, je vote pour le criminel", en référence à la récente condamnation de Donald Trump dans l'affaire Stormy Daniels. "Pour moi, Trump est un vrai bro ["frérot" en anglais], poursuit Harif. Il nous fait rire, il nous fout la paix. Avec lui, on a le droit d'être des vrais mecs. Il a tout compris."
Un électorat masculin "prêt à être cueilli"
A la sortie du meeting, Kyle et Michael, 29 ans tous les deux, se repassent les meilleures "punchlines" de la soirée. "Ils ont vraiment tous dézingué Kamala Harris", se félicitent-ils. Sur scène, pendant près de six heures, la vice-présidente a été conspuée, traitée de "harpie", de "communiste", et jugée "incapable de finir une phrase" à cause de son supposé "faible quotient intellectuel", selon les mots de Donald Trump. "Pas le traitement le plus classe du monde", concède Kyle, mais une violence "justifiée" face à une candidate qu'il juge "menaçante". Son compère acquiesce. "Elle veut nous retirer tous nos droits, de dire ce qu'on veut, d'être nous-mêmes... Tout ça pour nous rendre woke", s'étrangle Michael, intimement persuadé que "les universités américaines apprennent aux étudiantes à devenir lesbiennes, pour ne plus avoir besoin des hommes ensuite".
Aux yeux de Jackson Katz, éducateur et auteur de plusieurs livres sur la masculinité en politique aux Etats-Unis, ce discours sexiste "est loin d'être surprenant". "On a assisté à une récupération spectaculaire des jeunes hommes par le Parti républicain, et Donald Trump en particulier, car personne ne s'occupait vraiment d'eux, explique-t-il à franceinfo. Ils étaient prêts à être cueillis, en quelque sorte."
Comme le rappelle l'essayiste, l'écart de vote entre hommes et femmes, le gender gap, "est devenu très net aux Etats-Unis", avec une préférence démocrate pour l'électorat féminin, et républicaine côté masculin. Donald Trump est surtout très populaire chez les hommes blancs qui n'ont pas fait d'études après le lycée. En 2016, puis en 2020, il avait remporté environ 65% des voix de cet électorat, selon les chiffres du Pew Research Center. "Le Parti démocrate réalise tout juste qu'il n'a pas assez ciblé les jeunes hommes, laissant un vide dans lequel les républicains se sont engouffrés", analyse Jackson Katz.
"Trump parle leur langue depuis longtemps"
En l'espace de quatre ans, cette tranche de l'électorat s'est davantage tournée vers le vote républicain, avec une hausse de "sept points" par rapport à 2020, explique au New York Times John Della Volpe, directeur des sondages à l'Institut politique de l'université d'Harvard. Frappés par le stress, l'isolement et l'incertitude concernant l'avenir, les hommes de la génération Z (nés après 1997) sont moins enclins que les femmes de leur âge à se tourner vers une thérapie en cas de souffrance mentale, souligne le sondeur en chef. "Trump a capté cette anxiété en incorporant un message hyper masculin dans un discours plus large, qui vise à saper la confiance dans les institutions démocratiques", analyse-t-il par ailleurs.
Avec son aura d'homme d'affaires médiatique, passé par la case télévision avec son émission "The Apprentice" dans les années 2000, le républicain s'est taillé un costume sur mesure pour toucher les jeunes votants. "Donald Trump parle leur langue depuis longtemps, car c'est un habitué des combats de catch, des événements très populaires chez cet électorat", rappelle Jackson Katz. Ces dernières années, le milliardaire s'est aussi affiché comme un anti-héros, "figure bien connue dans le catch, quelqu'un que l'on déteste autant qu'on l'adore", souligne l'essayiste. Lors de son meeting new-yorkais, Donald Trump a aussi fait monter sur scène Dana White, le patron de l'UFC, la plus grande ligue d'arts martiaux mixtes (MMA). Dans son cercle proche, le candidat républicain compte par ailleurs sur Steven Cheung, ancien communicant de l'UFC, décrit comme un "fin stratège" par le New Yorker.
Au plus près des jeunes masculinistes
Sur leur téléphone, les jeunes soutiens de Trump rencontrés au meeting new-yorkais consultent à la pelle des vidéos à la gloire de leur "frérot". "C'est souvent humoristique, avec des chansons et des détournements réalisés grâce à l'intelligence artificielle", détaille Dylan, qui fait partie de plusieurs "groupes Maga" (l'acronyme de "Make America Great Again", le slogan de Donald Trump depuis 2015) sur WhatsApp et Telegram. "On se partage tout type d'infos, mais principalement des petites phrases sorties à la télé ou dans des podcasts, qui nous font bien marrer", poursuit-il.
Dans cette galaxie de contenus en ligne, Donald Trump s'est notamment rapproché des Nelk Boys, un collectif à l'humour potache, fana de canulars et de femmes dénudées, qui comptabilise entre 4 et 8 millions d'abonnés selon les plateformes. Mais son plus gros coup, le milliardaire l'a sûrement réalisé en allant voir Joe Rogan, réalisateur de podcasts aussi suivi que controversé, connu pour ses discours complotistes et antisystème. Diffusé le 25 octobre, l'entretien de presque trois heures avait dépassé les 35 millions de vues sur YouTube quatre jours plus tard.
Un effet incertain sur la présidentielle
Cette pression médiatique entraînerait une pression sociale à voter pour Donald Trump, selon Jackson Katz, qui a mené des dizaines d'entretiens avec des jeunes hommes de 18 à 34 ans dans le cadre de la Young Men Research Initiative. "Beaucoup d'entre eux ne partagent pas les valeurs de Donald Trump, mais n'osent pas le dire dans leur groupe d'amis, détaille l'éducateur. En cas de désaccord, ils ne sont pas seulement critiqués, on les ridiculise en les traitant de 'faibles' et en attaquant leur virilité. C'est comme pour le surnom de Tim Walz." Pour avoir mis à disposition des protections hygiéniques dans les écoles de son Etat, le gouverneur du Minnesota, candidat démocrate à la vice-présidence, a en effet reçu un sobriquet tenace : "Tim le tampon".
Dans les gradins du Madison Square Garden, les groupes de jeunes hommes ont scandé plusieurs fois ce surnom, totalement en phase avec le discours de Donald Trump. "Mais combien voteront pour lui finalement ?", interroge Jackson Katz, qui rappelle que cet électorat reste peu fiable, avec 51% d'abstention en 2020, selon une étude de l'université Rutgers. "Dire que l'on va voter Trump à un enquêteur pour un sondage, c'est une chose. Mais se déplacer pour le faire, ç'en est une autre, note l'éducateur. La participation est traditionnellement plus faible chez les hommes jeunes qui s'informent peu." Quel que soit le résultat de l'élection du 5 novembre, "un cap a été franchi" au sein de cette population, assure néanmoins Jackson Katz. "Pour eux, il n'est plus question de comparer les programmes politiques, mais bien de livrer bataille pour leur identité."
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